samedi 9 mai 2009

Hadopi and the Pirates

Vous me pardonnerez la digression de ce matin, qui concerne cependant tous les internautes français, et par solidarité tous les internautes tout court.
Il est difficile de trouver le juste milieu entre jargon et simplification à outrance sur un tel sujet, mais je vais tenter d'être claire et précise, vous pouvez toujours poser des questions en commentaires (ou faire une petite recherche, il y a matière).
C'est parti !

Hier, vers 17h heure française, le projet de loi "Création et Internet" a été voté à l'Assemblée Nationale. Il prévoit des mesures "contre le piratage", "pour protéger la création", "protéger les artistes et l'industrie". Concrètement, il s'agit de repérer sur les réseaux de peer-to-peer les IP ("adresse" d'une connexion Internet) téléchargeant des fichiers illégaux. Un mail d'avertissement est envoyé la première fois, puis c'est une lettre recommandée et enfin votre connexion est coupée, pour une durée de trois mois à un an (et vous continuez de la payer).
L'adresse IP n'est pas une preuve infaillible, on estime que le taux d'erreur sera de 30% à 40%. Si votre voisin entre sur votre réseau wifi, c'est votre IP qui apparaît, pas la sienne ; il est aussi possible de "balancer" des IP prises au hasard sur les réseaux de peer-to-peer.
De plus, si votre voisin (encore lui ? oui oui) s'introduit sur votre réseau, VOUS serez responsable aux yeux de l'HADOPI (Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des Droits sur Internet) de "défaut de sécurisation de votre ligne Internet".

À l'heure actuelle, et pour probablement très longtemps encore, il est impossible de sécuriser complètement un réseau wifi.
C'est comme si, en cas de cambriolage, vous étiez coupables de ne pas avoir installé des barbelés et des miradors autour de chez vous, et étiez punis pour cela.
La clé WEP est craquée en 5 minutes avec un matériel basique, la clé WPA, réputée inviolable, a été craquée en une semaine (sans doute moins depuis) : un réseau n'est jamais vraiment protégé.

La loi est techniquement aberrante sur tous les autres points : le peer-to-peer est très loin d'être le seul moyen de télécharger illégalement (vous connaissez - et utilisez* - tous le streaming !), c'est un pixel sur un 150 pouces ; le peer-to-peer crypté existe déjà...
Sans compter que couper un accès Internet - et seulement cet accès -, si vous votre abonnement inclus le net, la télévision et la téléphonie, est impossible à l'heure actuelle. Ce sont les fournisseurs d'accès qui vont devoir plancher sur le sujet, à leur frais, et donc... aux vôtres !
Et comment déterminera-t-on les contenus sous droits d'auteur ? Ce n'est pas parce qu'un fichier a un nom que celui-ci est représentatif de son contenu (les fameux "fakes"...) ! Le gouvernement se mettra-t-il à télécharger pour vérifier quels contenus sont illégaux ?
Enfin, l'Hadopi a un statut particulier aux yeux de la loi. Ce n'est pas un tribunal, elle échappe de ce fait à beaucoup de principes fondamentaux : la présomption d'innocence (vous êtes présumé coupable !), la possibilité d'avoir un recours avant l'application de la peine (vous vous expliquez après...).

À ce sujet, vous pouvez être "innocenté" de deux manières. La première, envoyer votre disque-dur à l'Hadopi, qui y mettra son nez. On imagine bien des entrepôts où gisent des milliers de disques-durs, dans des températures non-adaptées, pendant sans doute des semaines ou des mois... seuls, abandonnés de tous... et peut-être fraîchement sortis de leur boîte, achetés pour l'occasion et encore vierges : une IP =/= un disque dur... !
Alternative : avoir installé sur son ordinateur (n'est pas précisé "tous ses ordinateurs"...) un logiciel spécialement conçu (on ne sait pas par qui), qui ne fonctionnera sans doute que sous Windows, sera payant, et surveillera si vous faites quelque chose de mal sur le net (quoi ? comment ? que fera-t-on des données ? mouchard gouvernemental... ?). Si le logiciel est installé, vous pourrez être innocenté (sur une simple installation ? flou total !).
Là encore, l'installer sur un ordinateur-fantôme ou dans un machine virtuelle est simple et empêche son utilisation comme preuve.

Dans les programmes d'arts plastiques sera désormais fait mention de l'illégalité du téléchargement illégal, mais pas de l'existence de plate-formes de téléchargement légal et gratuit**.
Au passage, est prévu dans cette loi un peu fourre-tout une réforme des droits d'auteur des journalistes. Pour le moment, si l'article d'un journaliste est publié sur deux supports, mettons un journal papier et un journal en ligne, le journaliste reçoit ses droits d'auteur deux fois. La loi prévoit qu'il ne les reçoive plus qu'une seule fois : un grand groupe de presse va pouvoir réutiliser un article dans chacun de ses journaux sans débourser un centime de plus. Appauvrissement des journalistes et de la presse à la clé.


La loi Hadopi est si peu médiatisée (ou dans des circonstances discutables) qu'il me semblait essentiel de le faire ici. Soyons clairs, le "piratage" permit par la dématérialisation de la culture n'a rien de la grande plaie qu'on nous présente. C'est un problème plus profond. Non, la crise ne vient pas du (non-)"consommateur" ou de l'internaute mesquin et terroriste en puissance ! L'internaute qui télécharge achète en moyenne plus de disques que le français "moyen"... !
À qui cette loi va-t-elle profiter, allez savoir ; en revanche elle a fait sa première victime il y a quelques jours, le responsable du Pôle Innovation Web de TF1, viré pour avoir exprimé dans un mail privé à sa députée Française de Panafieu, via une adresse mail privée et son Iphone personnel, ce qu'il pensait d'Hadopi - et c'est le ministère de la Culture qui a retransmis le mail à la chaîne (motif du licenciement : "divergences fortes avec la stratégie de TF1"). L'ambiance est à la censure et à la propagande (cf la liste des 10.000 artistes en faveur d'Hadopi, truquée !).
La loi va coûter, selon les estimations, entre 20 et 200 millions d'euros au gouvernement, mais c'est sa dureté, son caractère répressif et même humiliant qui fait frémir : il est temps de protéger les artistes, et pas les majors ; il est temps de voir le net comme un outil et pas comme la terre de tous les vices. La culture doit profiter du net comme elle a profité de la VHS et de la cassette audio...
Parlez-en autour de vous, puisque les médias traditionnels ne le font pas : montrez qu'Internet appartient aux internautes et pas aux gouvernements !


-> pour rester au courant :
La Quadrature du Net
PC Inpact : l'avancement de la loi et des débats en quasi direct
Numerama : actualité d'Hadopi


*regarder le dernier clip d'Untel sur un site de vidéos, si ce n'est pas son label qui l'a mis en ligne avec tous les accords nécessaires, c'est illégal ! C'est pour ça que j'ai coutume de dire qu'un internaute est toujours un criminel ;)

**faites un tour sur Jamendo !